Synthèse de l’ouvrage “Sans cartes ni boussole. Il est urgent de diriger autrement” (Marc de Leyritz) par Olivier Leroy.
Dans son dernier ouvrage « Sans cartes ni boussole », Marc de Leyritz définit le « leader à impact », celui qui doit conduire les entreprises de demain dans un environnement complexe en dépassant la seule recherche du profit.
Le leadership est un processus par lequel un individu exerce une influence sur un groupe humain à partir d’une finalité et d’une vision du futur.
Or en 20 ans, la durée moyenne du mandat d’un DG de grand groupe a été divisée par deux, de plus de 10 ans à environ 5 ans aujourd’hui. Comment influencer une organisation quand on dispose de moins en moins de temps pour le faire ? Et alors que l’environnement est de plus en plus complexe et incertain ?
Le champ d’action du dirigeant désormais, sa carte, c’est le système entier, au-delà des murs de son organisation. Sa boussole, c’est le cap qu’il ou elle trace de manière claire, déterminée et soutenable.
Notre jeune siècle vit littéralement une « crise de crises », interdépendantes : crise écologique, crise du partage de la valeur, crise de gouvernance. Le monde aujourd’hui est contraint, accéléré, mouvant. Le mode de vie des plus prospères ne peut être universalisé, sous peine de précipiter l’humanité vers sa fin. Nous vivons en totale interdépendance mais sans véritable solidarité. Il est temps que l’humanité, fragmentée, retrouve une unité d’action.
« Dans une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable » (Stanislaw Jerzy Lec).
Face à un environnement d’une complexité inouïe, le premier devoir du leader est un devoir de lucidité face à l’empreinte sociale et environnementale de son activité. Pour entraîner les autres … (l’étymologie comme souvent est éclairante : « leader » a pour racine indo-européenne le mot « leith » qui signifie « aller de l’avant »). Aller de l’avant et entraîner certes mais vers où ?!
La vision du rôle de l’entreprise s’est considérablement rétrécie dans les années 70 avec Milton Friedman et l’Ecole de Chicago, affirmant que « la responsabilité sociale d’une entreprise est d’augmenter son profit. » Il entérinait ainsi une conception « possédante » de l’entreprise, opposant ceux qui détiennent son capital à ceux qui la gèrent. Plus les entreprises sont devenues grandes et complexes, plus elles ont nécessité un actionnariat perfectionné mais aussi l’intervention d’une nouvelle classe de dirigeants professionnels, chacun cherchant à maximiser son profit. Or la durée moyenne de détention du capital est passée de 7 à 8 ans il y a 15 ans à… 3 à 6 mois aujourd’hui !
Les spéculateurs ou propriétaires activistes cherchent à maximiser leur profit dans des délais record au détriment de l’intérêt à long terme de l’entreprise. Le contrôle de l’entreprise tombe entre des mains qui ne s’intéressent pas à ce qu’elle est mais à ce qu’elle peut rapporter à court terme.
Dans cette fuite en avant financière et court-termiste, quid de la dimension sociale et environmentale de l’entreprise ?
Comment passer de l’egosystème à l’écosystème ?!
Le leader ne peut plus échapper à une éthique de soutenabilité que le Sommet de la Terre à Rio en 1992 a défini comme suit : « le développement soutenable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »
Chaque membre de la société est amené à considérer son rôle et son impact envers le tout. Le niveau de conscience des acteurs s’élève, indéniablement. Témoin la norme ISO 26000, édictée le 1/11/2010, qui illustre une conception radicalement nouvelle de la responsabilité sociale de l’entreprise, celle-ci devant gérer ses activités propres naturellement mais aussi leurs effets collatéraux. Témoin une nouvelle tribune dans le Financial Times, intitulée « Moral Money ». La loi PACTE en France s’inscrit dans ce mouvement.
Le rôle du leader est alors de faire renaître, au cœur des crises, la possibilité d’un avenir commun. Sa boussole (re)devenant la raison d’être de l’entreprise qui apporte un contre-point indispensable aux critères financiers de court terme.
Aux indicateurs financiers classiques qui permettent une valorisation de l’entreprise s’ajoutent des critères intangibles comme la valeur de la marque ou la propriété intellectuelle et, de plus en plus, ce que l’auteur nomme la vitalité de l’entreprise, c’est-à-dire sa capacité à réagir, à s’adapter aux aléas et à relever les défis.
Dans cette perspective, la plus grande valeur ajoutée du leader se situe dans sa compréhension et dans sa gestion de la complexité. L’entreprise est un organisme vivant qui se sclérose et peut aussi se régénérer. Chaque individu, quelle que soit sa position dans le système, balance entre ce qui est bon pour lui et ce qui est bon pour le tout. Le rôle du leader est d’inspirer et de favoriser l’alignement entre les intérêts individuels et ceux de l’organisation.
Ce nouveau rôle que sa raison d’être confère à l’entreprise amène le métier de dirigeant à se réinventer. Le « bon » leader est avant tout celui qui se pose les bonnes questions. A l’aune de la responsabilité sociétale globale de l’entreprise qu’il dirige, ses trois enjeux principaux sont désormais : fixer le cap, créer les conditions organisationnelles du succès et faire émerger les talents et leaders de demain.
- Fixer le cap, capter les tendances émergentes, décrypter les signaux faibles, réévaluer les frontières de l’entreprise au sein de son écosystème (à partir de sa « keystone »), élargir le regard à l’ensemble de cet écosystème, anticiper les risques, imaginer les scenarii possibles.
- Créer les conditions organisationnelles de la performance, optimiser les structures (entre ordre et souplesse), stimuler l’énergie collective des instances de décision, être garant de la culture et des valeurs de l’entreprise, cultiver la vitalité, favoriser un esprit de « partnership » et de collaboration.
- Faire émerger les talents, ajuster les ressources aux enjeux de transformation, identifier les personnes qui exécuteront avec talent la stratégie souhaitée.
Quand le management est un ensemble de technique qui coordonne l’action d’individus vers un but commun, le leadership renvoie plutôt à l’art et à la capacité à créer les conditions d’émergence du nouveau.
Il y a 30 ans, le leader était un individu charismatique et visionnaire, capable d’articuler une vision et une passion. Aujourd’hui le leader est d’abord un génie du collectif qui sait stimuler cet esprit de coopération indispensable pour la soutenabilité. Le leader est devenu celui qui bâtit les structures qui font réussir tous les autres et qui met en tension vers un mieux commun.
Il doit savoir maintenir dans la durée et face aux aléas son équilibre psychologique et énergétique. Être au clair avec ses moteurs et motivations mais aussi ses « dérailleurs » qui le rendent vulnérable. Il dirige à partir de qui il est (« leading from who you are »), son énergie intérieure, son caractère qu’il forge par l’effort récurrent, sa « colonne vertébrale » de valeurs et ses « tripes » de convictions.
Les vertus qu’attache Marc de Leyritz à ce nouveau leader sont :
- La magnanimité, définie comme la tension de l’esprit vers les grandes choses
- L’humilité car « rien ne pousse à l’ombre des grands chênes» (qui étouffent les jeunes pousses)
- La prudence, indispensable à la prise des bonnes décisions
- La maîtrise de soi
- L’esprit de justice qui perçoit le bien commun et privilégie le sens du collectif
- Le courage enfin, pour maintenir le cap contre vents et marées.
Ce nouveau leader humaniste replace le souci de la personne humaine au cœur de son action et du fonctionnement de son organisation.
Ne laissons pas le pouvoir aux cyniques !
Remarquable analyse, je ne peux m’empêcher de penser que certains leader militaires se retrouvent dans cette description (alors qu’ils étaient totalement étranger à la vision purement économique de la direction d’entreprise.
Cela ne plaide pas pour confier les entreprises à des militaires, bien au contraire, en revanche cela pourrait faire réfléchir à en intégrer à un poste ou un autre dans l’équipe dirigeante en exigeant d’eux qu’il propose des solutions pour répondre aux nouvelles approches évoquées dans l’article.
Il pourrait y avoir de bonnes surprises…