Dans son ouvrage « Manager avec les philosophes », Flora Bernard (qui est intervenue récemment chez Version Originale) développe les liens entre pensée philosophique et pratique managériale.
Dans son panthéon elle retient Spinoza qui est connu pour avoir placé les émotions au cœur de son œuvre. Pour lui, comprendre nos émotions provoque de la joie et augmente notre « puissance d’être et d’agir ». A contrario, ce qui nous fait souffrir, c’est le manque de clarté des causes de nos émotions ; notre appréciation de la réalité s’en trouve faussée et nous n’arrivons plus à agir correctement.
Or c’est justement le fondement de la Communication Non Violente que de s’attacher à voir clair dans nos émotions et nos besoins associés pour ajuster et optimiser nos relations à autrui.
Que nous dit Spinoza au XVIIème siècle ?
Quand nous ressentons des émotions qui nous affaiblissent, bien souvent le premier réflexe consiste à les ignorer, les dominer, les supprimer. Spinoza nous invite plutôt à chercher à les comprendre.
En effet nos émotions nous parlent en se manifestant dans notre corps. Elles sont le signal que quelque chose est survenu dans notre environnement qui interagit avec notre nature et qui met en danger ce qu’il appelle notre « puissance d’être ». Etre, pour Spinoza, c’est faire l’effort d’exister, chercher à entretenir voire améliorer son énergie vitale. Cet effort incessant, qu’il appelle le « conatus », est ce qui définit l’être humain.
Les émotions nous indiquent que notre « puissance d’être » augmente ou diminue. Elles nous énergisent ou nous neutralisent.
Dans le même mouvement, les sentiments sont la conscience que nous avons de nos émotions et les images mentales associées. Emotions (sur le corps) et sentiments (dans l’esprit) font partie d’un même processus continu, comme l’a illustré A. Damasio dans son ouvrage « Spinoza avait raison ».
Pour Spinoza nous sommes incapables de dominer nos émotions. Seule la raison le permettrait ; or elle n’a pas de pouvoir sur nos émotions. Et nous ne pouvons pas non plus les supprimer car elles sont naturelles, elles font partie de notre nature.
En revanche nous pouvons ne pas les subir si nous les comprenons. Comprendre ses émotions, c’est distinguer les causes extérieures (le coup ou l’insulte qui nous est adressé) des causes intérieures (ce qui est touché en nous par ce geste ou ce mot). C’est découvrir que, si nous avons peu de prise sur les causes extérieures, en revanche nous pouvons réévaluer les causes intérieures, en particulier les idées que nous nous faisons sur les intentions des autres.
Comprendre ses émotions, c’est remettre les causes à leur juste place. Quand les causes de nos émotions deviennent claires, quand nous dégageons ce qui nous appartient de ce qui ne nous appartient pas, alors nous regagnons le pouvoir d’agir.
Ce qui passe par une mise en mots de ses émotions et des situations qui les provoquent.
Et c’est là le pont avec la CNV qui s’emploie à restaurer une communication de qualité entre les personnes. Au lieu d’accuser les autres de ce que l’on ressent (le « Tu » qui tue !), la méthode propose de distinguer ses émotions des causes qui les ont fait naître et d’identifier les besoins, nourris ou pas, qui se cachent derrière ces causes. A partir de quoi on peut formuler une demande claire aux autres pour qu’ils nous aident à restaurer notre bien-être.
La Communication Non Violente se décline en 4 temps :
- L’observation des faits.
- L’expression des émotions et sentiments liés à ces faits.
- Les besoins, remplis ou pas, associés à ces sentiments.
- Une demande formulée à l’autre, claire et entendable, pour rétablir notre bien-être.
Par exemple, au lieu de hurler : « Tu es bordélique, j’en ai vraiment marre de toi ! », nous pourrions, en mode CNV, dire plus calmement : « Nous partageons le même bureau. Quand tu laisses traîner tes affaires le soir en partant, je ressens de l’agacement. J’ai besoin d’ordre pour travailler. A l’avenir, pourrais-tu faire des piles avec tes dossiers ou les ranger dans le placard ? ». C’est sensiblement moins violent, n’est-ce pas ?!
Spinoza est donc le précurseur de la CNV sous deux angles au moins :
- quand il nous dit que nos émotions nous appartiennent et que les autres n’en sont pas responsables,
- quand il nous incite à distinguer ce qui est de notre ressort et ce qui n’en est pas. Préalable à toute action : soit en rétablissant les choses en nous-même, soit en formulant des demandes précises aux autres.
Baruch Spinoza et la CNV se rejoignent donc pour nous dire que prendre conscience de nos émotions et chercher à en comprendre les causes augmente notre sentiment d’exister, améliore nos relations avec les autres et au total enrichit la qualité de notre vie, au travail et ailleurs…
Olivier LEROY pour Version Originale